Lettre du pasteur septembre 2024

La vieille femme et le manguier

Lorsque j’étais au collège, sur le chemin de la maison à l’établissement, il y avait une maison où vivait une femme âgée qui avait un manguier dans son jardin. A la fin des cours, lorsque nous rentrions à la maison, elle nous invitait toujours à nous servir gracieusement. Dans mes souvenirs, c’est l’un des manguiers les plus productifs que j’ai jamais vus. Les fruits jonchaient le sol par dizaines. On pouvait aussi les cueillir sur les branches alourdies qui s’abaissaient vers nous. La gentillesse de cette femme était rare et exceptionnelle. Si cette anecdote de mon enfance était une parabole, elle serait une illustration de la grâce de Dieu qui ne cesse de donner. Pas un seul instant, il ne retire sa main. Chaque jour, nous pouvons cueillir de son fruit.

La grâce n’est pas un concept théologique abstrait. Elle fonde notre relation avec Dieu. Elle est un cadre pour notre vie, le périmètre dans lequel notre existence se déroule. Mais dire que la grâce est le cadre et le périmètre de notre vie c’est un peu un oxymore. Nous avons en effet l’image d’un cadre avec ses côtés et d’un périmètre déterminé. Or le cadre de la grâce n’a pas de côtés et son périmètre n’est pas déterminé. Pour parler de sa grâce, il nous faut faire comme David, c’est-à-dire nous référer à ce qu’il y a de plus grand autour de nous : les cieux. Dans le Psaume 57, il dit que l’amour de Dieu a les dimensions du ciel. Et même là nous n’avons qu’une pâle description, qu’une faible idée de la grâce de Dieu.

La première chose qui nous vient à l’esprit lorsque nous évoquons la grâce divine, c’est le pardon de nos péchés et la justification. En effet, «C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, ce n’est point par les œuvres. »(Éphésiens 2. 8-9). « Il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous aurions faites,mais selon sa miséricorde… » (Tite 3. 5).

Le pardon de nos péchés, notre justification ne sont pas le fruit d’une démarche religieuse ou de nos œuvres, mais de notre oui à la grâce de Dieu. La grâce nous garantit une justification présente. Elle ne produit pas ce fruit dans l’avenir, mais maintenant. Nous avons le pardon dès aujourd’hui. Dès aujourd’hui, Dieu ôte nos péchés. Dès aujourd’hui, aucun péché n’est retenu à notre encontre. Cependant, le pardon et la justification ne sont pas les seules choses que nous assure la grâce divine. La grâce est conçue pour correspondre au contexte de notre vie. Ce contexte n’est pas toujours facile : échec, maladie, deuil, difficultés au travail, problèmes relationnels… Il n’en demeure pas moins vrai que la grâce correspond au contexte de notre vie et qu’elle demeure le cadre dans lequel notre existence se déroule. Tout est grâce de la part de Dieu. Sa grâce c’est la manne qui se répand chaque jour autour du camp (Nombres 11. 9). C’est le rocher dans le désert d’où jaillit continuellement l’eau de la vie (Exode 17. 1-5 ; 1 Corinthiens 10. 4).

Tous les attributs de Christ, en tant que Dieu, sont à notre disposition. Non pas qu’il nous dote des attributs de la divinité, mais son omnipotence, son omniscience, son omniprésence, son immutabilité, son infaillibilité, s’allient en notre faveur sans aucune réserve. Sa sagesse nous guide, sa connaissance nous instruit, sa justice nous assure, son amour nous réconforte, sa miséricorde nous console, son immutabilité nous entoure. Il y a une plénitude en Jésus, et c’est une plénitude de l’essence même de

Dieu : plénitude de justice, plénitude de victoire et de triomphe, plénitude de bénédictions de toutes sortes et de toutes formes, une plénitude de grâce qui pardonne, qui régénère, qui sanctifie, qui préserve, qui perfectionne. A tous les instants, elle apporte la consolation, la direction. C’est une plénitude de tous les attributs de Dieu, de sagesse, de puissance et d’amour, impossible à mesurer, mais disponible pour nous. Ça aussi, c’est la grâce.

Réfléchissons encore un instant à ceci : sa grâce a fait de nous ses héritiers, les cohéritiers avec le Christ (Romains 8. 17). En 2021, lors des JO de Tokyo, Mutaz Barshim et Gianmarco Tamberi ont tous les deux été vainqueurs du concours de saut en hauteur. Les deux hommes n’ont pas voulu se départager et ont décidé de partager la médaille d’or. Ça a été un moment d’anthologie du sport qui a marqué à vie les deux amis. S’agit-il maintenant de partager l’héritage du Christ, cela dépasse tout ce que l’on peut comprendre et imaginer. Cela fait partie de ce que la Bible désigne par des choses que personne n’a jamais vues ni entendues, ce à quoi personne n’a jamais pensé et que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment (1 Corinthiens 2. 9). Comprenons bien que les domaines sans limites de l’univers de son Père sont la possession du Christ. Et loin de se comporter avec jalousie, égoïsme ou encore convoitise qui interdiraient toute participation, le Seigneur décide tout partager avec nous. Il n’estime pas son bonheur sans qu’il soit rattaché au nôtre. Rappelons-nous encore de sa déclaration : «Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée.» (Jean 17. 22). Cela veut dire que les honneurs de son royaume lui apportent d’autant plus de plaisir qu’il les partage avec nous. Et nous ne sommes pour rien dans notre héritage. Il est pur don, un signe de la grâce.

Que ce privilège si actuel et présent de la grâce tellement chatoyante de Dieu suscite à chaque instant notre louange. Chaque jour abreuvons tous nos besoins à cette source intarissable. La grâce, nous le savons, n’a rien à voir avec l’échange ou le mérite. Elle implique un don sans aucune condition ni contrepartie. Elle consiste à aimer sans rien espérer en échange, alors même que l’objet de cet amour ne le mérite pas ou n’a pas les moyens de répondre par la pareille. Puisse-t-elle malgré tout, nous éveiller à notre devoir. Tout le temps de notre vie, dépensons et dépensons-nous pour notre Seigneur Jésus qui nous remplit chaque jour de ses bienfaits, nous couronne de sa bienveillance et nous environne de sa grâce.

Avec mes meilleures pensées fraternelles,

Raymond Ruffe