Lettre du pasteur septembre 2022

Les saucisses de la discorde !

La Bible relate plusieurs épisodes de conflits survenus à cause de la nourriture : un plat de lentilles est à l’origine de la brouille qui a duré de nombreuses années entre les deux frères, Jacob et Ésaü (Genèse 25-27). Les pharisiens se lancent dans une diatribe parce que les disciples de Jésus cueillent des épis de blés le jour du sabbat (Matthieu 12. 1-2). Lors de la conférence de Jérusalem, il y a eu un débat houleux à propos des habitudes alimentaires des pagano-chrétiens (Actes 15). Mais c’est d’une autre histoire dont j’aimerais vous parler, une étonnante affaire de saucisses hérétiques.

Nous sommes le 22 mars en 1522 à Zurich, au cœur de la Suisse alémanique. Zwingli, un curé sensible aux idées de la Réforme travaille avec l’imprimeur Christoph Froschauer pour diffuser la Bible en allemand. Ce jour-là, ils terminent une nouvelle traduction des lettres de Paul. Une douzaine de personnes se trouvent dans l’atelier, dont trois prêtres. La journée terminée, l’imprimeur offre des tranches de saucisse à ses employés, ainsi qu’aux hommes d’Église. Or, nous sommes en période de Carême, le temps de jeûne et de repentance qui précède Pâques, et la consommation de viande est interdite. Le geste suscite un grand désordre. Les esprits s’enflamment, des menaces sont proférées. L’évêque cherche à sévir. Sur une suggestion de Zwingli, le conseil de la ville organise le 29 janvier 1523 une réunion publique pour débattre et juger l’affaire. Zwingli qui s’était lui-même abstenu de manger les saucisses soutient cependant ses amis prêtres. Il défend la liberté du chrétien : « De ton plein gré, veux-tu renoncer à la viande, n’en mange pas ! Mais laisse à ton frère sa liberté. »

Rappelons-nous de la recommandation de Paul à ce sujet : « Accueillez la personne qui est faible dans la foi, sans critiquer ses opinions. Par exemple, l’un croit pouvoir manger de tout, tandis que l’autre, qui est faible dans la foi, ne mange que des légumes. Que celui qui mange de tout ne méprise pas celui qui ne mange pas de viande, et que celui qui ne mange pas de viande ne juge pas celui qui mange de tout, car Dieu l’a accueilli lui aussi. Qui es-tu pour juger le serviteur d’un autre ? Qu’il demeure ferme dans son service ou qu’il tombe, cela regarde son maître. Et il demeurera ferme, car le Seigneur a le pouvoir de le soutenir. Pour une personne, certains jours ont plus d’importance que d’autres, tandis que pour une autre ils sont tous pareils. Que chacun soit bien convaincu de ce qu’il pense. Celui qui attribue de l’importance à un jour particulier le fait pour honorer le Seigneur ; celui qui mange de tout le fait également pour honorer le Seigneur, car il remercie Dieu pour son repas. La personne qui ne mange pas de tout le fait pour honorer le Seigneur et elle aussi remercie Dieu. En effet, aucun de nous ne vit pour soi-même et aucun ne meurt pour soi-même. Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Ainsi, soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur. » (Romains 14. 1-8)

Deux mots résument toute l’éthique chrétienne, « liberté » et « responsabilité ». La question de la nourriture n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les principes de liberté et responsabilité peuvent s’appliquer à bien d’autres domaines. Et il convient d’insister sur une chose : nous aurons beau déployer tous nos efforts, ce ne sont pas nos œuvres aussi bonnes soient-elles qui nous assurent la paix avec Dieu. Seule l’œuvre de Jésus nous garantit la paix avec Dieu et nous ne pouvons rien y ajouter. En revanche, il s’agit de vivre en paix les uns avec les autres. Il est question d’accueil mutuel : il faut accueillir comme un frère celui qui a des scrupules. Et celui qui a des scrupules ne doit ni juger celui qui n’en a pas ni chercher à imposer sa pratique. Les relations harmonieuses sont plus importantes que les divergences sur des choses qui relèvent de ce que les Grecs appelaient, les adiophora, c’est-à-dire des choses indifférentes, qui sont moralement neutres, ni bonnes ni mauvaises, ni prescrites ni interdites. Ne laissons pas les liens d’unité et de paix être menacés par notre amour-propre, la rigidité de nos idées reçues, nos mouvements d’humeur, notre manque de bienveillance, et notre propension à justifier tout ce qui vient de nous. En fait, la grâce est le nouveau système de référence de la vie du chrétien, c’est le seul terrain fertile pour nos relations : se faire grâce les uns les autres, comme Dieu nous a fait grâce (Romains 15. 7).

Posons-nous encore une question : jusqu’où va la liberté qui nous est octroyée ?

Le Seigneur ne nous oblige pas, il ne force pas les consciences. Il nous accorde même la liberté d’agir contre sa volonté. Et en même temps, il nous exhorte à toujours faire sa volonté. En fait, le chrétien est libre de faire ce qu’il veut, tant qu’il aime. « Aime et fais ce que tu veux » disait Augustin. Dans la même idée, Jean Dutourd, ancien membre de l’Académie française a dit, « Être bon, c’est être libre. » Pour aimer, pour être bon, pour être libre, la vie du chrétien obéit à trois règles :

  • Imiter le Père (Matthieu 5. 48 ; 1 Pierre 1. 15)

  • Glorifier le Père (Matthieu 5. 16 ; 1 Corinthiens 10. 31)

  • Plaire au Père (Matthieu 6. 1-18)

Ces trois règles s’appliquent toujours dans un contexte relation à l’autre, d’amour, de bonté, de pardon, de compassion, du bien que l’on fait à autrui… Nos œuvres font partie de la responsabilité chrétienne. Leur contexte c’est celui des béatitudes. Elles ne glorifient Dieu que si ce sont des œuvres d’humilité, de charité. Il s’agit de faire preuve de douceur et d’être artisans de paix. Plaire à Dieu, c’est la seule idée qui compte en matière de religion et de piété. L’arrogance peut se cacher dans nos actes de piété. L’acte n’est pas seulement juste par l’action, mais aussi par la motivation. Il faut s’assurer d’un usage responsable de notre liberté. La liberté a besoin de responsabilité pour ne pas risquer de tomber dans l’anarchie. Et la responsabilité a besoin de liberté pour ne pas devenir légalisme.

Avec mes meilleures pensées fraternelles,

Raymond Ruffe

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