
Lettre du pasteur février 2025
Retards et silences de Dieu !
La vie est une grande salle d’attente, n’est-ce pas ? Nous passons notre vie à attendre. Nous attendons au guichet. A l’école, les enfants attendent la fin des cours Nous commençons le travail, et nous attendons la fin de la journée. Le lundi, nous attendons déjà d’être en week-end. Les maris attendent leur femme… Même l’enfant dans le ventre de sa mère attend de naître. Et parfois à peine arrivés au culte, nous attendons déjà la fin…
Combien de temps êtes-vous capables d’attendre quelqu’un ? Au bout de combien de temps cessez-vous d’attendre ?
Aux Antilles, lorsque vous attendez quelqu’un qui tarde à arriver, nous employons l’expression imagée suivante : « Tu m’as fait porter une pierre ! » Et plus la personne tarde, plus la pierre devient lourde à porter. Son poids n’a pas changé, mais la fatigue, l’énervement, font qu’elle nous semble peser plus lourd qu’au départ.
Il arrive que celui qui nous fait porter cette pierre, c’est Dieu lui-même. Nous l’attendons, nous attendons une intervention de sa part, mais Dieu semble se dérober ; c’est la théophanie du silence et du retard. Une réponse évangéliquement correcte répliquerait tout de suite, « Dieu n’est jamais en retard ! » Et le débat serait clos. Certes le postulat est juste, mais il ne suffit pas toujours à éliminer la dissonance qui se crée lorsque nous le mettons en face de notre réalité. Si le premier facteur de découragement c’est la nature et l’intensité de l’épreuve, il y a un autre facteur qui au bout d’un certain temps supplante l’épreuve pour occuper la première place des causes du découragement, c’est le silence associé au retard de Dieu.
Dans les psaumes, les éprouvés, disent souvent leur désarroi devant le silence de Dieu.
« Mon Dieu, pourquoi t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes. Je crie le jour, et tu ne réponds pas ; la nuit, et je n’ai point de repos. » (Psaume 22. 2)
« Mon Dieu, délivre-moi, Seigneur, viens vite à mon aide… Mon aide et ma sécurité, c’est toi ;Seigneur, ne tarde pas. » (Psaume 70. 2, 6)
A ces « pourquoi » il nous faut rajouter ceux de tous les croyants au cours des siècles, jusqu’aux nôtres.
Pourquoi Jésus a-t-il regardé ses disciples s’épuiser en ramant en plein milieu d’une nuit de tempête, avant de les rejoindre ? Pourquoi a-t-il regardé le déroulement des événements dramatiques qui avaient lieu à Béthanie tandis que Lazare, arrivé en phase terminale de sa maladie, mourait et était mis dans la grotte lui servant de sépulcre ? Pourquoi laisse-t-il mon couple se détériorer ainsi sans intervenir ? Pourquoi ne répond- t-il pas quand je le sollicite pour mes enfants avec qui j’ai tant de mal ? Pourquoi ferme-t-il ses oreilles à ma prière pour trouver un compagnon pour rompre ma solitude ? Pourquoi n’améliore-t-il pas mes conditions de travail ?
Dans une foi comme la nôtre le silence de Dieu peut être quelque chose de très difficile à vivre. Nous croyons en effet en un Dieu qui parle et qui guide son peuple par sa parole. Et lorsque cette parole ne vient pas, nous sommes vite tentés de confondre le silence de Dieu avec l’inaction. D’ailleurs en hébreu, le mot « parole- davar », signifie également « action ». Si donc la parole est absente, c’est que l’action l’est aussi. Et puis le silence est associé à la mort. Dans le Psaume 6 par exemple, le séjour des morts est un lieu de silence.
Je voudrais donc me risquer à dire quelques mots à propos des silences de Dieu. Je dis bien « risquer », car ce n’est déjà pas chose toujours aisée d’interpréter la Parole de Dieu, alors interpréter son silence, voilà un exercice périlleux Le silence est quelque chose qui appartient à Dieu et il ne nous est pas donné de tout en saisir. Parler du silence de Dieu, c’est pointer du doigt quelque chose d’infinie. Et lorsqu’on tend le doigt vers l’infini on ne peut le faire que de façon maladroite.
La question est donc moins de savoir si Dieu est en retard ou pas, mais quelle attitude devons-nous adopter lorsqu’il nous semble en retard et silencieux.
En allant vers Agar pour avoir un fils, Abraham a décidé de remplir l’insoutenable silence de Dieu par ses propres actions. Au Sinaï, Aaron et le peuple ont décidé de combler le silence de Dieu, en fabriquant le veau d’or. Dans le cas de Job, ce sont ses trois amis qui ont rompu le silence et ont cru devoir parler à la place de Dieu. Nous aussi, nous fabriquons nos propres réponses pour remplir les silences de Dieu. D’ailleurs Bonhoeffer dit qu’en chacun de nous, il y a un Moïse et un Aaron, les deux frères représentent nos conflits intérieurs, face aux silences de Dieu. Une partie de nous voulant attendre que Dieu décide lui-même de rompre le silence, l’autre partie étant tentée de remplir ce silence par ses propres moyens. Et quand je vois les autres confrontés au silence de Dieu, le pasteur que je suis, au service de la Parole, aimerait tellement avoir une parole pour tout le monde. J’aimerais être toujours en mesure de dire : « Voilà la parole de Dieu pour toi, mon frère, ma sœur. » Alors que parfois, il faudrait reconnaître humblement le silence et dire : « Je ne sais pas ». C’est ce que qu’auraient dû faire les amis de Job. Job leur dira : « Que n’avez-vous gardé le silence ! » (Job 13. 5). Et Dieu leur dira aussi : « Je suis en colère contre vous, car vous n’avez pas parlé correctement de moi. » (Job 42. 7) Dire : « Je ne sais pas ! », n’est pas un manque de foi. Il faut parfois dire : « Je ne sais pas, mais je peux t’encourager, je peux avancer avec toi et attendre avec toi. »
De son côté Dieu ne s’est pas arrêté aux écarts d’Abraham et a accompli sa promesse en donnant à Abraham et à Sarah un fils dans leurs vieux jours. Il ne s’est pas non plus arrêté aux tentatives du peuple de remplir le silence avec le veau d’or. Il fait don au peuple de la Loi. Pour Job, le livre se termine ainsi : « L’Éternel rétablit la situation de Job… et l’Éternel lui accorda le double de tout ce qu’il avait possédé… L’Éternel bénit la dernière partie de la vie de Job plus que la première » (Job 42. 10, 12). Quatre siècles de silence ont précédé la naissance de Jésus. Beaucoup ont dû désespérer de voir un jour l’accomplissement de cette promesse. Mais il y avait aussi des femmes et des hommes pieux comme Anne et Siméon qui attendaient et espéraient encore (Luc 2. 25-36). Et finalement au temps marqué, Dieu envoya son Fils (Galates. 4. 4).
Ces exemples nous permettent de dire avec force que le silence de Dieu n’est pas inaction. Nous pouvons même affirmer que le silence de Dieu est un silence annonciateur, préparateur d’une explosion de vie. Les silences de Dieu sont encore comme les silences du chef d’orchestre. Ce dernier vient avec sa baguette, et il tape trois petits coups… Que se passe-t-il à ce moment-là ? Silence dans l’orchestre, dans la salle, un silence religieux dirait-on ! Non pas un silence de mort, mais un silence de vie. Un silence qui veut dire, « Maintenant va commencer ce pour quoi tu es venu, tu as payé, tu as pris place. Tends tes oreilles, ouvre ton cœur et tes yeux, le spectacle commence.» Voilà pourquoi nous sommes invités à dire avec le prophète Jérémie qui lui aussi a été confronté à la question du silence de Dieu : « Il est bon d’attendre en silence le secours de l’Éternel » (Lamentations 3. 26)
Alors, chers amis, vous tous qui attendez le Seigneur, continuez d’espérer en lui, espérez dans la prière, en lui rappelant ses promesses, espérez avec foi, espérez dans la patience et le calme.
Avec mes meilleures pensées fraternelles
Raymond Ruffe
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