Lettre du pasteur décembre 2023

Toutes les crèches du monde

L’année dernière, ce ne sont pas moins de 426 crèches de 71 pays qui ont été exposées à la basilique de Lisieux. Je me plais à imaginer ici l’enfant noir, là, Marie avec les yeux bridés. Je me plais à imaginer aussi une crèche pour toutes les époques : Ici, Joseph ressemble à un travailleur d’usine, ou comme dans le film « Les rois mages » avec « Les Inconnus », où Marie est une jeune fille un peu paumée et Joseph un jeune de banlieue et le métro parisien fait office de crèche. Et pourquoi pas aussi une crèche où Marie et Joseph seraient vieux, pour nous faire penser aux personnes âgées qui s’enfoncent dans l’ennui et la solitude.

Cet enfant noir de la crèche, il me fait penser à Haïti que le reste du monde a oublié, mais qui croule dans la misère et les luttes internes. Il me fait penser à la République démocratique du Congo où la malnutrition touche, plus de 6,4 millions de personnes et principalement des enfants de moins de 5 ans. Il me fait penser à la Corne de l’Afrique qui subit de plein fouet l’impact meurtrier de la crise climatique. On pourrait citer encore le Yémen, le Sud-Soudan, le Burkina-Faso, le Niger, le Mali… Marie aux yeux bridés me fait penser au Myanmar où la population birmane est toujours confrontée à une crise politique, humanitaire et des droits de l’homme sans précédent. Quant à Joseph en travailleur d’usine ou en jeune de banlieue, ne peut-on pas y voir un rappel des manquements sociaux de notre société ?

Lorsque nous imaginons cette page d’histoire qu’est la naissance de Jésus, nous ne l’imaginons dans aucune de ces ambiances, dans aucun de ces contextes. Et pourtant dans le pays de Marie et Joseph, c’était l’appauvrissement quotidien à cause des taxes exorbitantes et de toutes sortes d’extorsions. Certains ne voyaient pas d’autre solution que la guérilla armée. D’autres se résignaient à la situation politique et cherchaient leur avenir dans la résistance culturelle et religieuse. D’autres collaboraient avec les forces d’occupation.

La crèche du premier Noël et toutes ces crèches sont subversives et nous indiquent d’une façon particulièrement cohérente mais aussi décapante, le sens et la raison d’être de Noël. La crèche nous rappelle le penchant de Dieu pour les plus petits et les plus pauvres. Avant cette naissance, nous savions que Dieu est grand, immense, infini, tout-puissant et que nous pouvons attendre ses bienfaits. Mais nous ne savions pas qu’il est si proche de nous.

On pourrait dire : Où était Dieu lorsque notre enfant est parti ? Lui, si jeune, si bon, qui aimait tant la vie.

Il était là où ses nombreux amis étaient réunis pour un dernier adieu.

On pourrait dire : Où est Dieu lorsque la guerre éclate et que des hommes, des femmes, des enfants se font tués ?

Il est là, à tous les rassemblements pour la paix.

Où est-il lorsque des personnes se font licenciées en masse et perdent leur dignité ?

On peut le rencontrer lorsque des solidarités sont créées.

Et puis la terre où il est né, l’a-t-il définitivement quittée ?

On serait tenté de le croire devant le spectacle qui s’y déroule sous nos yeux. Mais non, il ne l’a pas quittée. Je le vois dans cet acte où des militants israéliens et palestiniens prient ensemble pour les victimes des attentats du Hamas et des bombardements israéliens sur Gaza.

Partout où nous faisons le bien, il est là.

La crèche de Noël garde vivace l’espérance d’une humanité différente, à construire aujourd’hui ensemble : une humanité, plus humaine, avec plus de fraternité, plus de paix, plus d’amitié, plus d’amour, avec des femmes et des hommes qui témoignent des valeurs de compréhension mutuelle, de service gratuit, de partage, de solidarité et de justice, des hommes et des femmes qui gardent ouverts des chemins d’espoir et d’avenir, des hommes et des femmes de bonne volonté et ardents à faire le bien. Faire sans cesse le bien, c’est ça célébrer Noël.

Mais est-ce vraiment possible tout cela ? Est-ce vraiment possible la paix dans ce monde violent ?

Même Jésus, l’enfant de l’espoir a été rapidement contesté et rejeté. Mais la veille de sa mort, il nous a laissé ces paroles lumineuses : « Quand une femme va mettre un enfant au monde, elle est en peine parce que le moment de souffrir est arrivé pour elle; mais quand le bébé est né, elle oublie ses souffrances tant elle a de joie qu’un être humain soit venu au monde. » (Jean 16. 21)

Jésus a subi une mort atroce, identifiée à ce qu’il y a de plus marginalisé dans l’histoire humaine. Mais la
haine, le mépris, l’exploitation, la lâcheté n’ont pas eu le dernier mot. La vie a été plus forte que la mort.
Dieu l’a arraché du tombeau et il vit à jamais.

Voilà ce que cet enfantement a semé sur notre planète : la protestation de l’espérance, l’espérance têtue que les souffrances et blessures de notre monde sont des douleurs d’enfantement. « La création tout entière gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » (Romains 8. 22). Elle vit des passages douloureux mais décisifs comme l’est un enfantement.

Nous sommes appelés à contribuer à cet enfantement là où nous sommes, avec ce que nous sommes et ce que nous avons, afin que la paix un jour triomphe de la haine, de la violence, de la peur et de la cupidité. C’est le souffle d’espérance de Noël qui agit comme une énergie dans tout geste d’accueil, de pardon, d’hospitalité, de partage, de tendresse. C’est le chant de paix de Noël qui résonne dans toute parole d’amitié, de consolation, de soutien. Certes nos paniers de Noël ne règlent pas la misère de la planète. Nos vœux et nos gestes d’accueil ne font pas magiquement germer l’harmonie et la fraternité. Le défi sera toujours supérieur à ce que nous pourrons faire. Mais même les choses apparemment insignifiantes peuvent se révéler vitales et un seul pas effectué par obéissance et fidélité à l’Évangile du Christ, peut avoir des conséquences d’une grande portée.

Que la joie de Noël jaillisse dans nos cœurs, nos foyers, nos villages et nos villes. Et que l’an 2024 soit habité par un peu plus de fraternité et de paix, ces cadeaux magnifiques de Dieu !

Avec mes meilleures pensées fraternelles,

Raymond Ruffe

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